en-belgique-lenseignement-de-larchitecture-est-en-faillite
«Effondrement de la culture historique des étudiants, exigences absurdes de leurs professeurs, l’humiliation des jurys, suivisme béat de figures médiatiques de l’architecture: les facultés d’architecture ne remplissent plus leur mission première.»
 
C'est le sous-titre de la première intervention en français sur ce site (enfin!), qui est reproduit dans son intégralité sur cette page : en cliquant sur les cases [EN] [FR] [IT] vous pouvez visualiser les différentes traductions, ou la version en langue originale (qui, cependant, peut être trouvée ICI).
 
 
Une carte blanche de Nadia Everard, présidente de “La Table Ronde de l’Architecture” Asbl et diplômée d’architecture à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
 
L’enseignement universitaire de l’architecture est en faillite. Entre l’effondrement de la culture historique des étudiants, les exigences absurdes de leurs professeurs, l’humiliation des jurys, le suivisme béat des grandes figures médiatiques de l’architecture et une course épuisante à l’originalité, les facultés d’architecture ne remplissent plus leur mission première.
 
Chaque jour, des étudiants en architecture frappent à la porte de notre association et nous décrivent leur malaise. Plus ils sont jeunes, plus leur désillusion est grande. En sortant de l’école, ils s’attendent à apprendre l’un des métiers les plus nobles qui soit, l’architecture, qui consiste à embellir le monde. Mais dès le premier jour on leur enseigne qu’il est inutile de vouloir embellir le monde car la beauté est subjective et secondaire. On leur dit que l’histoire ancienne fait la joie des archivistes mais n’est d’aucune utilité à l’architecte. On leur apprend que l’unique style qui mérite leur attention est le style actuel, le modernisme, celui des petits cubes blancs et des formes déconstruites.
 

L’histoire et l’harmonie sont oubliées

Prenez n’importe quel cursus d’architecture du début du siècle dernier et comparez-le avec le cursus actuel : vous verrez que les cours d’histoire sont réduits à la portion congrue. Autrefois, il n’était pas rare de croiser des étudiants en architecture, adossés à un lampadaire ou assis sur un trépied, qui étudiaient et redessinaient laborieusement les plus beaux édifices de leur ville. Je vous mets au défi d’en trouver un seul aujourd’hui. Or, l’histoire et la tradition sont la grammaire de l’architecture. L’architecture est un langage qui repose sur des principes —construction solide et adaptable, respiration du bâti et ventilation naturelle, composition et proportions harmonieuses, saillies, soubassement, fenêtres verticales, toiture en pente, etc.– des choses en vérité très simples mais que l’enseignement actuel ignore totalement. Ce langage permet à l’architecte de s’exprimer librement et d’être compris par la population; sans lui, il est comme un linguiste privé de vocabulaire ou un juriste ignorant la Constitution: il est incapable d’exercer correctement.
 

Incompréhension des étudiants en architecture

Non seulement ne se fait-il pas comprendre des habitants, ce qui explique la méfiance croissante de la population vis-à-vis de l’architecture contemporaine, mais il ne comprend pas lui-même ce qu’il fait et de cette incompréhension naît une souffrance. De fait, un nombre croissant d’études (1) mettent en évidence la dégradation préoccupante de la santé mentale et physique des étudiants en architecture.
 
 
Ces derniers sont en proie à des pressions inouïes, au stress, au manque de sommeil, aux railleries de leurs professeurs, à l’humiliation des jurys (présentations du travail des étudiants devant un parterre d’architectes)…
 
Ce mal-être provient surtout de l’incompréhension totale des étudiants face aux consignes de leurs professeurs. La masse de travail est sans doute moindre que celle des étudiants en médecine, par exemple, mais elle est renforcée par l’incompréhension des consignes. Nous ne comptons plus les témoignages relatant des situations ubuesques. Lorsqu’à un jury, un professeur renverse votre maquette en vous disant que votre projet est “banal” ou qu’il faudrait le retourner pour voir s’il ne fonctionnerait pas mieux à l’envers, lorsqu’on vous demande constamment d’être “audacieux”, “original” ou “innovant” sans jamais définir ces termes, vous vous sentez misérable et perdu. Nombre d’étudiants, au comble du désespoir et ne sachant pas comment satisfaire les exigences abstraites de leurs professeurs, produisent n’importe quoi. Chacun peut se rendre à un jury d’architecture pour constater l’ampleur de l’imposture: des mobiles désarticulés, des piles de déchets, des tours de cure-dents, des boîtes en carton trouées, des origamis en papier recyclé… En un mot: tout sauf de l’architecture.
 

Revenir à une pédagogie classique et des consignes claires

Les étudiants doivent comprendre que le problème ne vient pas d’eux, mais bien de l’enseignement qui s’est cruellement égaré. Il faut rappeler aux autorités facultaires que les missions de l’architecte sont simples: bâtir des édifices solides, utiles et beaux à regarder. Il faut revenir à une pédagogie classique, des consignes claires, de l’empathie vis-à-vis des élèves qui ne devraient pas apprendre sous la contrainte mais par passion du legs plurimillénaire de l’architecture. Il faut enfin leur rappeler qu’un échec de l’enseignement est un échec pour tout le monde: pas seulement pour l’étudiant mal formé mais aussi pour la ville et ses habitants qui subissent les conséquences de projets inadéquats et de constructions fautives.

(1) Voir notamment l’étude de l’Union Nationale des Étudiants en Architecture et Paysage (UNEAP) lancée en décembre 2017.
 
 
 
La Table Ronde de l’Architecture est une association sans but lucratif belge dédiée à̀ la défense et à l’enseignement d’une architecture belle, humaine et durable. Devant le constat d’échec des études d’architecture, elle a fondé une école d’été d’architecture pour former de jeunes gens à l’art de bâtir en dehors des circuits universitaires.
Posted: 28/02/2023 13:56 — Author(s): La Table Ronde de l'Architecture

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